Je me suis assise sur un banc, dans le parc, je regardais les familles passer, les enfants jouer. Au loin le tumulte de la circulation grondait.
Je me suis assise sur un banc, j'ai regardé au loin, le bus n'arrivait pas, j'allais être en retard, mais je m'en fichais.
Je me suis assise sur un banc, j'ai enfilé mes chaussures de ski, mes gants et avec l'élégance d'un hippopotame perché sur des Louboutins je suis allée faire la queue pour monter dans les oeufs.
Je me suis assise sur un banc, les touristes passaient, les japonais prenaient en photo mon bull-terrier à qui je donnais à boire à l'aide d'une petite bouteille.
Je me suis assise sur un banc, je ne pouvais plus faire un pas, mes nouvelles bottes m'avaient massacrées les talons. Je cherchais sur mon portable la pharmacie la plus proche pour y acheter des pansements.
Je me suis assise sur un banc, j'étais fardée comme un camion volé, le photographe me disait : regarde moi, tourne la tête à gauche, croise les jambes, et j'obéissais.
Je me suis assise sur un banc, celui de la cuisine qui servait également de salle à manger. Je savais que je ne viendrai plus jamais dans la maison de mon grand père qui allait être vendue.
Je me suis assise sur un banc, à quelques rues de la clinique cherchant un rayon de soleil pour sécher le flot discontinue de mes larmes.
Je me suis assise sur un banc, j'ai fumé une cigarette, je lui tournai le dos, à lui, à notre vie d'avant, à notre nid, à nous.
Je me suis assise sur un banc, je n'avais que quelques minutes pour avaler mon sandwich. Je n'en pouvais plus d'être debout et de jouer à la gentille vendeuse conseillère de vente experte en pliage et en réassort.
Je me suis assise sur un banc, il était gelé, tellement froid. J'eusse été assise sur la banquise que mon postérieur n'aurait pas été aussi frigorifié. "Ca raffermit les chairs", mais j'avais froid dedans et ça, aucun chauffage d'appoint n'y pouvait rien.
Je me suis assise sur un banc, et j'ai repensé à elle. J'ai tenté de me souvenir de ses dernières paroles, tout se brouillait dans ma tête. J'ai fermé les yeux priant qu'en les ouvrant Spock m'aurait téléporté là où elle n'aurait pas fait ça.
Je me suis assise sur un banc, plus rien ne serait comme avant, dans mon immobilité, je savais pourtant qu'une nouvelle vie s'était déjà mise en marche. Statufiée par la douleur d'une fille à qui on arrache le coeur je regardai au loin la terre battue où mon père s'était effondré. Me laissant à jamais privée de son rire et de son amour.
Je me suis assise sur un banc, seule, comme toujours, comme avant, le monde, la vie tournait autour de moi à me donner des vertiges. Immobile dans le tourbillon de mes pensées je me demandais ce que je faisais là.
Je me suis assise sur un banc, j'ai allumé une cigarette, sorti un livre, lu quelques phrases. Je ne parvenais pas à trouver un intérêt à suivre ligne après ligne la vie du personnage héroïque de mon roman. La vraie vie m'obsédait, tout ce paquet de noeuds dont je parvenais pas à délier les fils.
Je me suis assise sur un banc, dans mes oreilles j'écoutai France Inter, l'orateur décrivait la déchirante vie de Billie Holiday, l'émission s'achevait sur les paroles de ce titre évocateur de mon état : " In my solitude, you taunt me, with memories, that never die".
Je me suis assise sur un banc, j'étais très en avance pour mon entretien, aucun café à proximité. Je potassai avant le moment fatidique d'aller encore servir sur un plateau le menu détail de mes compétences. J'étais si lasse par avance, j'enfilai mon masque, et me levai pour le combat.
Je me suis assise sur un banc, il n'était pas stable, bancal comme moi. Je n'ai pas cherché à lui mettre une cale, j'ai joué de son déséquilibre pour me bercer.
Je me suis assise sur un banc, j'ai repensé à ce chien qui venait chaque jour au port attendre son maître qui, perdu en mer ne reviendrait jamais. Ce chien dont la fidélité avait valu une statue de pierre. Et moi ? Si je restai là ? Aurai-je droit à mon double de granit ?
Je me suis assise sur un banc, mon corps recroquevillé pour prendre le moins de place possible, je voulais être petite, surtout ne pas déranger, laisser de la place, beaucoup de place aux autres, quitte à être inconfortable.
Je me suis assise sur un banc et l'autre moi s'est levée, elle m'a hurlé : bouge-toi, vis, laisse les partir, cours, crie, jouis, danse, aime, sois !
L'autre est montée sur le banc à hurlé plusieurs fois, sa haine, sa douleur, sa tristesse, sa honte, ses cris brûlaient les tympans.
L'autre me faisait-elle honte ? Qui était-elle vraiment ?
Debout sur le banc, elle s'est mis à chanter, à jouer, à rire, à se montrer plus vivante et heureuse que je ne l'avais jamais été.
L'autre déployait humour et joie, flamboyait, et je me trouvais là assise sur un banc ne sachant pas comment transformer cet autre qui m'irait parait-il comme un gant.
Je me levai du banc, ancrée dans le présent, il me fallait aller de l'avant, quitter l'immobilité et suivre un nouveau chemin, une nouvelle allée, et ce pleine d'allant.
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